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L’histoire de la fécondation artificielle de la vanille ferait un excellent scénario de film. Le décor: L’île de la Réunion. Les personnages: Edmond Albius, un jeune esclave créole et Charles Morren, botaniste belge à l’Université de Liège. L’intrigue: une tendre fleur qui n’accomplit l’œuvre de l’hymen qu’à son corps défendant…

Edmond Albius, jardinier à La Reunion

Edmond Albius est pratiquement le seul esclave dont on se souvient à l’île de la Réunion. Lors d’un reportage, j’ai découvert l’histoire étonnante de ce garçon qui, au milieu du 19e siècle, a découvert les mystères de la fécondation artificielle de la vanille.

Edmond Albius a 12 ans en 1841. Il vit à Sainte-Suzanne sur l’île de La Réunion. Ce jeune esclave a perdu sa mère à la naissance. Il travaille comme apprenti jardinier dans le domaine de Ferréol Bellier- Beaumont de Villentroy, un riche planteur passionné de botanique. «Ce petit noir, créole, esclave de ma soeur, était mon gâté, et constamment avec moi», disait Ferréol en parlant d’Edmond. «D’un naturel curieux, intelligent, il aime observer la nature et fait preuve de beaucoup d’attention».

Edmond Albius fécondation de la vanille

De la citrouille à l’orchidée

Le climat tropical chaud et humide de Sainte-Suzanne est favorable aux cultures. Dans le jardin de son maître, Edmond admire la floraison éphémère du vanillier. Entre ombre et soleil, cette liane vigoureuse prend d’assaut tous les supports grâce à ses racines aériennes, un peu comme le lierre.

A cette époque, cette orchidée n’est cultivée dans les jardins d’amateurs que comme une fleur de pure curiosité. Les plantes poussent facilement, elles fleurissent mais toutes avortent, sans donner de fruits.

Débrouillard et curieux, mais totalement privé d’instruction, Edmond aime les plantes et essaye de comprendre leur mode de fonctionnement. Il avait appris de son maître la fécondation artificielle d’une plante de la famille des citrouilles, appelée jolifiat. Par contre, il s’étonne de voir que les belles fleurs de la vanille ne portent jamais de fruits.

fécondation de la fleur de vanille

Le premier fruit en plein air

Grâce à son sens inné de l’observation ou par hasard en froissant les fleurs – nul ne le saura jamais – le jeune garçon repère les organes mâles et femelles des fleurs de la vanille et les met en contact. Il découvre que les organes sexués de la vanille sont séparés par une sorte de cloison mobile. Il a l’idée de la soulever en rapprochant légèrement du bout de ses doigts les étamines du stigmate, afin de porter le pollen sur chaque pistil.

Et le miracle se produit. La fleur de la vanille produit un fruit, une belle gousse qui, après des mois de maturation et de traitements, offrira le plus délicieux des parfums.

Une version moins poétique rapporte que l’enfant qui était soit disant colérique et maladroit aurait écrasé une fleur provoquant involontairement la fécondation de celle-ci. Cela semble une vilaine rumeur car l’opération sera répétée chaque jour et chaque jour couronnée de succès. Elle n’est donc nullement le fruit du hasard. La paternité de la découverte d’Edmond Albius a été confirmée maintes fois et dans différents écrits par Mr Ferréol Bellier- Beaumont.

(pour connaître la fin de l’histoire d’Edmond Albius, voir la fin de l’article)

Vanille fécondation
vanille fécondation

Le chocolat des Aztèques

En réalisant la fécondation de la fleur de la vanille, Albius avait ainsi effectué le travail pollinisateur de l’abeille mélipone, absente sur l’île de la Réunion mais présente au Mexique où est né le vanillier commun, Vanilla planifolia Jacks. ex Andrews. Le genre Vanilla compte 110 espèces dont une quinzaine seulement sont productrices de vanilline.

Les Aztèques vénéraient la vanille sous le nom de ‘Tlilxochilt’ (gousse noire). Ils l’utilisaient comme aphrodisiaque et pour épicer leur chocolat, préparé à base de cacao, de miel et de piment brûlant!

La légende raconte qu’en 1519, l’espagnol Hernan Cortès reçut des mains de l’empereur Moctezuma du chocolat parfumé à la vanille dans un gobelet en or. Les conquistadors l’emportent alors avec l’or. Ainsi elle arrive à la cour d’Espagne sous le nom de ‘Vainilla’ qui signifie gousse ou petite graine en espagnol.

En 1571, Philippe II envoie au Mexique son médecin herboriste, Francisco Hernandez, qui publie un ouvrage illustré sur la vanille, sa culture et son usage en herboristerie.

Charles de l’Ecluse et Charles Plumier

C’est au botaniste Charles de L’Ecluse (Carolus Clusius) que l’on doit attribuer les premières notes d’intérêt botanique se rapportant au fruit du vanillier. Il le décrit en 1605 comme une drogue qu’on extrayait du lobus oblongus aromaticus.

Botaniste du roi de France, le Père Charles Plumier ramène en 1695 d’Amérique du Sud une série de dessins où sont mêlés fleurs et fruits. On y retrouve la vanille qu’il décrit sous le genre Vanilla, confirmant la terminologie des Espagnols.

Au 18e siècle, la vanille est utilisée pour aromatiser le chocolat, les bonbons et même le tabac. «Ce sont les fruits de cette vanille (du Mexique) qui nous viennent par le commerce, et dont on se sert pour parfumer le chocolat… qu’elle rend plus facile à digérer que le chocolat sans vanille, qui est pesant et sans attraits…».

Les précieuses gousses «à l’odeur huileuse, résineuse et subtile» sont importées via les ports de Marseille, Rouen ou Amsterdam, mais il semble alors difficile de cultiver cette liane herbacée sur le continent.

fécondation de la fleur de vanille

Dans les jardins botaniques d’Europe

La culture de la vanille est introduite en Europe au début du 19e siècle. La première mention fiable de l’introduction de la vanille dans les collections européennes est due au duc de Marlboroug. La plante fleurit pour la première fois dans une serre chaude à Paddington près de Londres en 1807.

Elle arrive en Belgique chez Joseph Parmentier, intendant du duc d’Aremberg pour le domaine d’Enghien et célèbre collectionneur de plantes rares. Des échantillons sont ensuite envoyés dans les jardins botaniques d’Anvers, de Gand, de Liège et au Jardin des Plantes à Paris. La plante pousse bien dans les serres, elle fleurit mais elle ne fructifie toujours pas!

 

Charles Morren
Vanille Liège
Vanille Liège
Charles Morren

Charles Morren, botaniste belge

Le botaniste Charles Morren est le premier à obtenir une fructification grâce à l’insémination artificielle des fleurs de vanille. Nous sommes en 1836, Charles Morren est nommé professeur à l’Université de Liège où il occupe la chaire de Botanique. Le Jardin botanique de Liège, situé à cette époque autour de l’Université, était pourvu d’une serre chaude. Morren insémine les fleurs et 54 fruits sont obtenus l’année suivante, en 1837. Sur un second pied, il obtient une centaine de gousses, dignes de rivaliser avec celles du Mexique!

Morren publie le résultat de ses recherches sur la fécondation de la vanille. «C’est une tendre fleur qui n’accomplit l’oeuvre de l’hymen qu’à son corps défendant, et qui demande le secours de l’homme si celui des insectes ou des oiseaux-mouches qui, sans doute dans le pays natal de la plante remplissent ce rôle de messagers d’amour, lui est refusé! En effet, aucun fruit n’a été produit que sur les cinquante-quatre fleurs auxquelles j’avais artificiellement communiqué le pollen. On enlève le tablier ou on le soulève, et on met en contact avec le stigmate une masse pollinique entière, ou seulement une partie de cette masse, car une seule de celles-ci, coupée en huit ou dix pièces, peut féconder autant de fleurs… Il faut un an à la Vanille pour mûrir. Le 16 février 1836, la première fleur s’ouvrit; le 16 février 1837, le premier fruit tomba.»

Gousses de vanilles obtenues dans les Serres de Liège par Charles Morren

Des serres de Liège au Jardin du Roi à Paris

Fort de son succès, Morren voulut étendre ses essais pour développer la culture de la vanille à plus grande échelle. Mais nul n’est prophète en son pays! Il ne fut pas suivi par le gouvernement qui lui interdit même en tant que professeur de mener à bien ses recherches.

Il faut noter que la vanille est toujours cultivée de nos jours dans les serres du jardin botanique de Liège où elle est fécondée manuellement par le procédé mis au point par Charles Morren et qu’elle produit encore régulièrement quelques fruits.

L’expérience fut répétée par Joseph Neumann, chef des serres du Jardin du Roi à Paris, (appelé plus tard Museum national d’histoire naturelle de Paris) qui obtient une première fructification en 1838. Mais les essais en serre ne sont pas satisfaisants car la fructification est toujours aléatoire et capricieuse. La plante fleurit sans problème mais les plants qui donnent des gousses (il s’agit en fait de capsules qui enferment des graines) sont très rares.

Vanille Liège
Vanille Liège

Sous des cieux plus cléments

Parallèlement à ces recherches et pour faciliter la fructification, les botanistes ont l’idée de cultiver la vanille sous un climat tropical proche de celui de sa région d’origine.

Les premières boutures de vanille arrivent en 1819 sur l’île Bourbon (nom de l’île de La Réunion à l’époque) avec le commandant Pierre-Henri Philibert. Il revenait d’une expédition de Guyane en compagnie du botaniste Perrotet. En 1820, il ramène d’autres boutures venant de Manille. En 1822, des boutures provenant du Mexique sont ramenées du Muséum de Paris à la Réunion par Monsieur Marchant. C’est cette variété qui sera exploitée par David de Floris, le principal planteur de vanille à Saint-André au 19e siècle. La précieuse orchidée se plaît dans cette île au climat tropical mais la fructification est toujours absente. La plante semble condamnée à la stérilité!

La richesse de l’Océan Indien

C’est ici que nous retrouvons notre jeune Edmond Albius qui tout seul, dans le jardin créole de son maître, a découvert en 1841 une technique de fécondation artificielle de la vanille adaptée à la culture en plein air des vanilliers.

Le bruit de cette découverte se répand bientôt dans toutes les montagnes vertes et humides de la partie Est de l’île. Les propriétaires de vanille demandent à Mr Bellier son petit noir pour venir leur enseigner cette mystérieuse technique de la fécondation de la vanille. On envoie au jeune homme une voiture ou un cheval pour qu’il se rende à St-Benoît, à St-André, à Ste-Suzanne ou à Ste-Marie.

Sa découverte signa la richesse de son patron et celle de nombreux planteurs. Elle dota l’île d’une nouvelle industrie agricole et permit le développement de la vanille dans les îles de l’Océan Indien, d’abord aux Seychelles, puis aux Comores et surtout à Madagascar. Ce procédé est actuellement utilisé dans le monde entier!

Gouses de vanille

Une fin de vie dans la misère

En 1848, après l’abolition de l’esclavage à La Réunion, Edmond est affranchi et reçoit son nom de liberté: Albius, probablement en référence à la couleur blanche alba de la fleur de vanille. D’autres pensent qu’il s’agit d’une référence à la couleur de la peau des maîtres blancs, comme une sorte de promotion!

Comme la plupart des anciens esclaves affranchis, Edmond quitte son maître pour commencer une nouvelle vie. Il devient aide-cuisinier chez un officier. Hélas, la vie est dure et le salaire est misérable. Albius est impliqué dans une histoire de vol de bijoux et condamné aux galères pour cinq ans! A la requête de F. Bellier et grâce à la clémence d’un Juge de Paix compatissant et du Gouverneur Hubert De Lisle, il est libéré pour bonne conduite en 1855 après trois ans de travaux forcés.

Jamais la colonie ne lui témoigna sa reconnaissance. Il termina sa vie en 1880, à l’hospice de Sainte-Suzanne, dans le dénuement le plus total. En 1981, la municipalité de Sainte-Suzanne a érigé une stèle sur le lieu de naissance d’Edmond Albius à Bellevue. Une statue en bronze d’Edmond Albius se dresse depuis 2004 au cœur d’un mémorial sur l’esclavage, reconnu comme crime contre l’humanité.

«Dan tan lontan», le temps d’avant

Pour dresser le décor de cette histoire, je ne résiste pas à l’envie de vous retranscrire le témoignage de Mme Barret, de Saint-Benoît, que j’ai lu dans un recueil de souvenirs (Ile de la Réunion, 1920-1970, Azalée éd. 1997). Cette dame décrit la case créole chez les êtres les plus pauvres, au début du 20e siècle. Edmond Albius ne devait pas être mieux logé.

«Nous vivions dans une petite case n’ayant qu’une seule pièce. Et une seule porte pour toute ouverture. Elle était faite de tour en torchis, c’est-à-dire de la paille et de la boue et couverte de paille de canne. Là vivaient trois personnes. Il y avait comme meubles deux caisses de morue pour s’asseoir et un petit lit en fer muni d’une paillasse faite de goni rempli de paille de maïs. Là-dessus dormaient ma mère, ma sœur et moi. Pour nous, il n’y avait pas d’école. On n’avait pas les moyens d’y aller. Pour manger, il fallait travailler. La nourriture était du maïs et de gros pois en plus du piment écrasé… ou même du manioc, surtout en temps de guerre. Comme la case était au milieu d’un champ de cannes, pour les WC, il n’y avait pas de problème. Soleil ou pluie, il y avait de la place pour tous et le papier de toilette… c’était l’herbe ou les feuilles… ou une roche. Même pas très bien essuyé, la petite culotte faisait le reste. Maintenant, la vie ne ressemble plus à celle-là et c’est tant mieux!»

Plus d’infos

Bibliographie:  Bibliothèque Départementale de La Réunion www.cg974.fr et www.reunionweb.org

  • «Edmond Albius et la découverte de la fécondation artificielle de la vanille. La correspondance entre Bellier-Beaumont et Volsy-Focard», par Michel Chabin, in Archives de Bourbon, 1981.
  • «Petite histoire de l’introduction et de la fructification du vanillier au jardin botanique de l’Université de Liège et à l’île de la Réunion», Joseph Beaujean, extrait de Natura Mosana, Revue de sciences naturelles en Wallonie www.naturamosana.org

Plus d’infos:   http://www.reunion.fr www.reunionweb.org

www.mi-aime-a-ou.com/sainte_suzanne_edmond_albius.php

Illus:  Charles Morren (1803-1858), titulaire de la chaire de botanique à l’Université de Liège, Une fleur de vanille récoltée en 1829 dans la serre du Jardin botanique de Liège, Deux capsules de la première fécondation artificielle effectuée par Charles Morren en 1836, conservée dans le musée de botanique de l’Université de Liège, Gousses de vanille obtenues dans les serres de Liège (C. Morren, 1849)

Mon voyage à la Réunion m’a offert de belles découvertes. Vous retrouverez mon reportage sur l’Ile de la Réunion, sur la culture de la vanille à la Réunion, sur le Jardin de l’Etat et le Jardin de Cendrillon à Saint-Denis, sur le Jardin botanique de Mascarin, le Jardin d’Eden, le jardin de la Maison Folio à Hell Bourg et le portrait de la fleuriste Odette Roche dans les rubriques Voyages, Jardins et Découvertes ou cliquez sur les liens.

Fécondation de la vanille

 

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