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Sainte-Hélène, une île du bout du monde. Prisonnier des Anglais, Napoléon y vivra six années d’exil. A Longwood, il dictera ses mémoires et peaufinera sa légende.

 

De Waterloo à Sainte-Hélène

Le Mémorial de la bataille de Waterloo 1815 organise une grande exposition sur Napoléon, du Congrès de Vienne à l’exil à Sainte-Hélène dans le cadre du bicentenaire de la mort de l’Empereur. Pour éviter que d’autres écrivent son histoire, l’Empereur dicte ses souvenirs à ses compagnons d’exil afin de l’élever au rang de figure mythique. (voir mon reportage sur le Mémorial Waterloo 1815)

Napoléon à Fontainebleau, 1814 copie d’atelier du peintre Paul Delaroche 1840

Le Congrès de Vienne

En 1814, les grandes puissances européennes se réunissent pour se partager les territoires jusqu’alors sous influence française. Napoléon s’évade de l’île d’Elbe et menace à nouveau l’Europe. Les alliés anglais, prussiens, autrichiens et russes se mettent d’accord pour mettre un terme définitif au règne de Napoléon. Près d’un million d’hommes venant de toute l’Europe va se dresser face à la Grande Armée de l’Empereur. La reprise de la guerre est inévitable. Napoléon sait qu’il va devoir faire preuve de rapidité et décide de provoquer au mois de juin 1815 les affrontements en menant une campagne vers le nord.

Médaille de la Légion d’Honneur de troisième type trouvée sur l’uniforme d’un officier français le 19 juin 1815

Waterloo, l’acte final

Napoléon a face à lui deux armées. Il y a 95.000 Ango-Hollandais commandés par le duc de Wellington et 125.000 Prussiens sous les ordres du maréchal prince Blücher. Les Autrichiens et les Russes n’ont pas eu le temps de les rejoindre. Napoléon n’a que 124.000 hommes. Son but est d’affronter séparément les armées de Wellington et Blücher. Mais la défaite sera inéluctable.

Chapeau bicorne ayant appartenu à Napoléon

Une redingote grise, des bottes à l’écuyère et un célèbre bicorne en feutre font partie de la légende de Napoléon. Le bicorne permet à Napoléon de se distinguer de ses subordonnés. Il en porta une cinquantaine sur les champs de bataille de l’Europe. Aujourd’hui, moins d’une trentaine d’exemplaires sont authentifiés. Celui-ci a été porté par Napoléon lors de la campagne de 1815.

Lanterne de la berline de l’Empereur Napoléon pillée par les Prussiens au soir de la bataille de Waterloo

Au soir du 18 juin 1815, laissant derrière lui un champ de bataille jonché de 40.000 morts et blessés français, 15.000 Anglais et 7000 Prussiens, Napoléon quitte Mont-Saint-Jean. Protégé par sa garde impériale, l’Empereur monte dans une berline et tente d’échapper aux troupes prussiennes. La route vers Charleroi est encombrée par les fuyards d’une armée française complètement désorganisée. Napoléon a évoqué les débris de son armée: «C’était un torrent hors de son lit.»

Maroquin rouge marqué au fer des Grandes Armes de Napoléon

Impossible pour la berline impériale de se frayer un chemin. Napoléon franchit à pied le pont au dessus de la rivière la Dyle au milieu de ses troupes. De l’autre côté du pont, un cheval l’attend. Les Prussiens retrouveront dans la berline abandonnée quelques objets appartenant à l’Empereur et à ses soldats.

Mors de bride utilisé par Napoléon à Waterloo

Shako de troupe du 13e régiment, 1812

Chapeau d’officier en feutre noir et cocarde tricolore de la Garde Impériale

Plaque de Shako venant du Champ de bataille de Waterloo

Pistolet à silex en noyer, fer et argent massif trouvé dans les fourgons de Napoléon à Waterloo. Il est nécessaire de se servir d’une baguette afin d’amorcer la poudre avant le tir. Un bon tireur ne pourra faire feu que deux à trois fois la minute.

Pistolet à silex

L’aigle blessé

Pour Napoléon, l’histoire ne s’achève pas le 18 juin 1815 à Waterloo. Après sa défaite face aux troupes européennes coalisées, il repart vers Paris où il abdique. Après avoir séjourné à la Malmaison, il compte s’exiler aux Etats-Unis mais il est obligé de se rendre aux Anglais. Napoléon est persuadé qu’il sera accueilli sur le sol britannique comme n’importe quel souverain en exil pourrait l’être. Mais il sera traité comme un prisonnier.

Plan de l’île et des forts de Sainte-Hélène, exemplaire de 1815 appartenant au comte de Las Cases

L’île de Sainte-Hélène

Napoléon sera déporté vers l’île lointaine de Sainte-Hélène «pour ne pas lui laisser la possibilité de troubler à nouveau la paix de l’Europe.» Perdue en plein Atlantique Sud, entre l’Afrique et le Brésil, à vingt mille kilomètres de la vie la plus proche, l’île de Sainte-Hélène est un caillou de basalte volcanique de 10 kilomètres sur 17, une île du bout du monde!

Maquette du H.M.S. Northumberland, le navire anglais qui conduisit Napoléon et sa suite sur l’île de Sainte-Hélène

Le chemin de l’exil

De Plymouth à Sainte-Hélène, la traversée à bord du HMS Northumberland durera plus de deux mois. Parmi les compagnons d’exil de Napoléon, il y a le comte de Las Cases qui est le seul de son entourage à parler la langue anglaise, le maréchal Bertrand et sa famille et le général Gourgaud. Parmi les domestiques, il y a le mamelouk Ali et le jeune Louis Marchand, fidèle parmi les fidèles qui deviendra son exécuteur testamentaire.

Portrait de Marchand, valet de chambre de Napoléon à Sainte-Hélène, dessin au crayon de 1815

Le 15 octobre 1815, Napoléon et ses compagnons d’exil débarquent sur l’île de Sainte-Hélène gardée par trois mille hommes et quatre navires. L’île de Sainte-Hélène bénéficie d’un climat ensoleillé mais les vents peuvent être violents, surtout sur les plateaux. C’est de l’humidité dont Napoléon se plaignait surtout. L’Empereur confie à Gourgaud: «Ce n’est pas un joli séjour. J’aurais mieux fait de rester en Egypte. Je serais à présent empereur de tout l’Orient.»

Aquarelle de Longwood House réalisée par Marchand le premier valet de chambre de Napoléon à Sainte-Hélène

Longwood House à Sainte-Hélène

Longwood House est une modeste demeure entourée de quelques dépendances. C’était la résidence du gouverneur de l’île lors des périodes chaudes de l’année. Un escalier de cinq marches, une véranda et, derrière la porte d’entrée, une salle de billard, une salle à manger, une salle de bain avec une baignoire de cuivre. Longwood sera la prison de Napoléon pendant six années.

A Sainte-Hélène, les mois s’égrènent lentement. L’étiquette stricte des Tuileries que l’Empereur tient à respecter durant les premiers mois se relâche peu à peu. Les journées de Napoléon se résument à de rares promenades, un peu de jardinage et à la lecture de journaux ou de livres reçus d’Europe.

L’uniforme de l’Empereur avec sa redingote et son célèbre bicorne est rapidement abandonné dès les derniers mois de l’année 1815 au profit d’une tenue plus légère. Napoléon se contente d’une chemise en soie ou en lin pour s’adapter à la température et à une humidité insupportable.

Comme coiffe, il adopte le madras coloré, un foulard de soie qui couvre ses cheveux.

A ses pieds, il délaisse ses bottes de cavalerie ou souliers à boucle pour des chaussures en cuir souple portées avec une paire de bas.

Souffrant depuis longtemps de problèmes cutanés, Napoléon a pris l’habitude d’interminables bains chauds, quasi bouillants. A Longwood, sa mélancolie paraît soulagée lors de ces bains préparés par son valet de chambre Marchand ou son mamelouk Ali.

Canne de Napoléon à Sainte-Hélène en dent de narval munie d’un pommeau plat sculpté à huit pans.

Féru de lecture, Napoléon amène à Sainte-Hélène six cents livres, des romans, de la poésie, du théâtre mais aussi des traités militaires, des livres d’histoire ou de la géographie. Il en fera venir d’autres. A sa mort, sa bibliothèque contenait trois mille ouvrages.

La naissance de la légende

C’est à Sainte-Hélène et dans des conditions extrêmes que Napoléon engage sa dernière bataille: celle de la légende. En dictant ses souvenirs à quelques rares fidèles, L’Empereur dresse un bilan de ses années au pouvoir et offre un regard nouveau pour les générations futures. Napoléon passera de longues heures dans la salle de billard à dicter les souvenirs de ses batailles au comte de Las Cases, au grand-maréchal Bertrand et à ses généraux de Montholon et Gourgaud.

Pour agrémenter son récit, il déploie plusieurs cartes et plans d’action sur le billard dont ce sera la principale utilité.

Mémorial de Sainte-Hélène

Le comte de Las Cases, chambellan de l’Empereur, a débuté ses prises de notes dès le départ de Paris. Il a ainsi consigné toutes les actions dont il a été le témoin privilégié. Les dictées du souverain déchu viennent ensuite alimenter ses carnets, en particulier au cours de la longue traversée de l’Atlantique puis lors des premiers mois de l’exil à Sainte-Hélène.

Les carnets du fameux ‘Mémorial de Sainte-Hélène’ né des premiers confidences érigent le temple de papier qui manquait à l’incroyable parcours du souverain déchu. Document à la fois historique et littéraire, le ‘Mémorial de Sainte-Hélène’ est le texte fondateur qui entretiendra la légende napoléonienne.

Mémorial de Sainte-Hélène, première édition plein cuir 1823 rédigée par le comte de Las Cases

Mais la maladie gagne du terrain. Napoléon passe de plus en plus de temps seul dans sa chambre. On le décrit alors «faible et chancelant dans sa marche». Lorsqu’il lui arrive, dans des crises de fièvre, de délirer, c’est son fils qu’il évoque le plus souvent. Parfois son armée. Parfois la France. Cette statue représente Napoléon seul, presque sans vie, le regard vide. Il est assis sur son fauteuil, comme trônant pour l’éternité. Sobrement vêtu d’une chemise de soie et d’une robe de chambre, il contemple son destin. Une carte négligemment posée sur ses genoux. L’oeuvre originale en marbre a été réalisée par le sculpteur Vincenzo Vela.

Le temps du héros

L’Empereur Napoléon s’éteint à Longwood House le 5 mai 1821, âgé de 51 ans. A 17h49, le général de Montholon lui ferme les yeux. Puis, un à un, ses proches s’agenouillent au pied du lit et lui baisent la main.

Gazette du Moniteur du 6 juillet 1821 annonçant la mort de Napoléon à Sainte-Hélène

Cette toile du peintre Steuben montre le corps du héros recouvert d’un linceul et entouré de ses derniers «apôtres». Le grand maréchal Bertrand, sa femme, leurs enfants, les généraux et les principaux domestiques veillent tout autour de la dépouille.

Le chirurgien corse François Antommarchi prend une empreinte du visage du défunt. Reproduit tout au long du 19e siècle, ce masque fixe pour l’éternité les stigmates de la maladie et de la mort de l’Empereur.

Aujourd’hui appelée la vallée du Tombeau sur l’île de Sainte-Hélène, l’ancienne vallée du Géranium abrite la première sépulture de Napoléon. Elle est entouré d’une grille en fonte de fer qui fut restaurée à plusieurs reprises. Certains éléments font maintenant partie de collections privées.

L’Empereur a rédigé un testament qu’il signera le 15 avril 2021. «Je meurs dans la religion apostolique et romaine, au sein de laquelle je suis né il y a plus de cinquante ans.» C’est dans un codicile rédigé le 16 que se trouve la phrase célèbre «Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé.»

Oublié de tous et abandonné par les siens, l’Empereur était autrefois détesté pour son ambition démesurée. Il a fait l’objet de nombreuses caricatures utilisée par les anti-napoléoniens pour décrédibiliser la figure de Napoléon et le régime impérial.

La disparition de l’Empereur frappe les esprits et le fait entrer dans une nouvelle dimension. Le jeune général de la Révolution devenu souverain dominateur se transforme progressivement en chantre de la modernité et de la liberté. Napoléon est glorifié par les artistes romantiques, devenant le héros des peuples européens épris de liberté politique. Son image est diffusée partout à travers le monde et ses objets vénérés deviennent de véritables reliques. Les représentations d’immortalité de Napoléon se multiplient telle cette lithographie de Jean-Pierre-Marie Jazet d’après Horace Vernet en1840.

Ce dessin imprimé d’après le masque mortuaire de Napoléon représente le défunt avec, à la base, le grand cordon de la Légion d’honneur et l’épée de l’Institut de Napoléon Bonaparte.

Le retour des cendres

Dix-neuf ans après la mort de l’Empereur à Sainte-Hélène, le corps de Napoléon est finalement rapatrié en France. Le roi Louis-Philippe s’est entendu avec la reine Victoria pour que les Britanniques acceptent de rendre la dépouille de l’ancien exilé. Après de longues semaines de traversée sur le navire la Belle-Poule, le cercueil arrive à Paris. Par une température de moins 10°C, le 15 décembre 1840, le cortège funèbre descend les Champs-Elysées et traverse la Place de la Concorde lors d’une cérémonie qui devait marquer les esprits par son faste. Le cercueil est enfin déposé sous le Dôme des Invalides. L’imposant sarcophage de porphyre rouge que l’on peut voir aujourd’hui sera installé beaucoup plus tard, en 1861.

Ce tableau monumental représente le monument de l’Aigle Blessé blessé sur le champ de bataille de Waterloo à l’endroit du dernier carré de la Garde Impériale. Au delà de la mythification de la figure de Napoléon, c’est toute la Grande Armée qui devient un mythe avec lui.

Paysage de la plaine de Waterloo avec fillette fleurissant le monument français. Huile sur toile Maurice Dubois 1910

Exposition «Napoléon, de Waterloo à Sainte-Hélène, la naissance de la légende». Mémorial de la Bataille de Waterloo 1815, Belgique, du 5 mai au 17 octobre 2021. https://www.waterloo1815.be/

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