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Rare et précieux comme l’or, le safran est l’épice la plus ancienne et la plus convoitée de la planète. Découverte du Crocus sativus cultivé au Safran de Cotchia.

Les stigmates parfumés du Crocus sativus

«Safran» vient de l’arabo-persan «za’farân» qui signifie jaune en référence à la teinture végétale extraite de ses stigmates. Très proche par sa forme du colchique d’automne mais éloigné au niveau botanique, le Crocus sativus fait partie du genre Crocus et de la famille des Iridacées. Il est probablement une très ancienne sélection du Crocus cartwrightianus, une espèce cultivée pour la production du safran dans la Grèce Minoenne.

D’autres espèces, notamment les Crocus thomasii et Crocus pallasii, ont pu participer à des hybridations par des producteurs qui désiraient de plus longs stigmates et qui ont finalement abouti au Crocus sativus. Quoiqu’il en soit, partant du bassin méditerranéen, le Crocus sativus s’est répandu il y a 5000 ans en Asie Mineure et vers le Cachemire par les invasions mongoles. Il aurait ensuite été rapporté jusqu’en Europe par les différentes conquêtes arabes et les Croisés.

Safran de Cotchia

Dans le Quercy et le Gâtinais

Au Moyen Age, le safran apparaît en Espagne, Suisse et Angleterre, avec deux grands bassins de production en France, dans le Quercy et le Gâtinais, qui exportaient vers toute l’Europe et les Indes. Les petites parcelles étaient appelées safranières. Cette culture pris une telle ampleur qu’on fut obligé de légiférer sur sa conduite, sa commercialisation et son imposition. A l’époque comme aujourd’hui, la triche était courante et la sanction était alors sans pitié: les fraudeurs étaient brûlés vifs avec leur safran frelaté. Cette culture a commencé à décliner au XVIIIe siècle vers un arrêt brutal au moment de la révolution.

L’Iran, le Cachemire et le Maroc sont aujourd’hui les principaux pays producteurs de safran et, pour l’Europe, l’Espagne, la Grèce et la Sardaigne. Ceci pourrait laisser supposer que le safran a besoin de chaleur pour s’épanouir. Et pourtant, dans les Alpes, les fleurs percent sous la neige, ce qui illustre bien l’adaptation de la plante à des climats rigoureux.

Safran de Cotchia

Le Safran de Cotchia en Wallonie

La Hesbaye liégeoise, une région au nord de la Meuse, est surnommée le «grenier à blé de la Belgique». J’y ai découvert la seule safranière professionnelle de tout le pays. Exploitée par Sabine et Eric Leonard, le Safran de Cotchia a reçu en 2016 le prix de l’artisan d’excellence et talent de Wallonie. Il est également répertorié dans le guide vert des meilleurs producteurs du Gault & Millau.

Safran de Cotchia

Mais comment devient-on cultivateur de crocus safran? «Nous sommes la quatrième génération de fermier. J’ai repris la ferme de mes parents en 1985, avec de la culture traditionnelle de Hesbaye, principalement du froment et du maïs ainsi que de l’élevage de bovins. J’ai découvert avec mon épouse la culture du safran en regardant une émission à la télévision qui présentait Véronique Lazérat et sa safranière dans le Limousin. En 2010, nous avons fait un stage à Fontanières et nous sommes revenus avec 20.000 bulbes que nous avons plantés à la main. C’était le début d’une belle aventure.»

Le couple travaille à deux. Sabine organise des visites guidées, des stages pour former les futurs safraniers et s’occupe de la production de sirops et de confitures maisons et de la comptabilité. Eric gère les cultures et les récoltes. Toute sa production de safran est vendue chaque année et il a du mal à faire face à la demande. Certains bulbes sont vendus. Eric assure également le côté commercial, les salons, foires et marchés et les contacts avec des chefs étoilés des restaurants.

Safran de Cotchia
Safran de Cotchia
Safran de Cotchia
Safran de Cotchia

Une culture en buttes et au soleil

Après avoir dépassé la ferme Léonard, un petit chemin me mène à la parcelle de culture du safran. Un hectare d’une belle terre limoneuse ensoleillée clôturée et cultivée dans le respect de l’environnement, sans pesticides ni engrais. La surface est divisée en 21 planches en buttes avec 4 lignes de bulbes par planches, soit 120.000 bulbes plantés. Il peut y en avoir jusqu’à 800.000 bulbes car ils se multiplient.

Safran de Cotchia

La multiplication des bulbes

Etant stérile, la multiplication se fait de façon végétative, c’est-à-dire par la multiplication des bulbes. En fait, ce ne sont pas vraiment des bulbes mais des cormes, c’est à dire de petits globules protégés par une pellicule de fibres brunes. Les cormes, qui ne survivent qu’une saison, peuvent être divisés manuellement puis replantés. Ils fournissent ainsi jusqu’à 10 caïeux qui produiront de nouvelles plantes. Le profil en buttes des planches permet à la terre de se réchauffer plus vite et offre un meilleur drainage pour les bulbes. En cas de fortes pluies, l’eau est évacuée par des allées plus basses que les parcelles de plantation. La butte qui surélève la surface de culture facilite également le travail de la cueillette, car il faut moins se baisser.

Safran de Cotchia

Une végétation inversée

Le Crocus sativus est une plante dite à végétation inversée puisque ses feuilles ne sortent de terre qu’en septembre et qu’elles se dessèchent en mai. A la fin du printemps, on assure le désherbage et la coupe des feuilles séchées. En mai juin, certains bulbes sont arrachés pour les commercialiser, entre 20.000 et 50.000 bulbes par an. Les bulbes doivent être plantés en été, lorsqu’ils sont en dormance, mais ils peuvent rester ensuite de nombreuses années dans le sol où ils se multiplient.

Ce sont les pluies et la fraîcheur de septembre qui les réveillent. La floraison est induite lorsqu’il y a 10° de différence entre la nuit et le jour. La fleur sort de terre pendant la nuit, protégée par une gaine blanche et entourée de feuilles. Elle s’épanouit et meurt en 24 heures. Il faut de la chaleur pour que les fleurs déploient des pétales violets, allant du lilas pastel à un mauve plus foncé et strié.

Safran de Cotchia

Le bulbe fleuri en octobre

Les floraisons s’étalent sur 4 à 6 semaines, de fin septembre à fin novembre, avec un pic entre mi et fin octobre où l’on peut récolter jusqu’à 25.000 fleurs par jour. Un bulbe donne de 1 à 8 fleurs. Parfois, le bulbe ne fleurit pas et passe une année à faire des réserves. Suite à la multiplication des bulbes, le nombre de boutons augmente sur le pied d’origine, pouvant atteindre 35 fleurs la quatrième année! Ainsi, la floraison des safranières s’amplifie d’année en année.

Safran de Cotchia

Tout se fait à la main

Pour la récolte des fleurs, Eric et Sabine font appel à des saisonniers. Ils attendent souvent l’heure du midi pour commencer la récolte. Les fleurs sont coupées à la main avec les ongles. Chaque planche est divisée en 6 sections car chaque fleur cueillie est comptée ce qui permet d’avoir une idée précise de la production de chaque section de chaque planche.

Safran de Cotchia
Safran de Cotchia
Safran de Cotchia
Safran de Cotchia

Des stigmates en trompette

Vient ensuite le travail d’émondage, c’est à dire la séparation des pétales mauves, des étamines jaunes et du pistil rouge. On coupe la base de la fleur en tenant le pistil puis l’on retire les étamines chargées de pollen. On est enfin en présence du safran qui forme un petit tas de stigmates filiformes rouges et brillants qui se terminent au bout par une petite trompette. En Belgique, le style fait 2,5 à 3cm de long et il faut 150 fleurs pour faire un gramme de safran. En Grèce, le pays étant plus aride, le style est plus petit et il faut 250 fleurs pour faire un gramme de safran.

On utilise une petite balance de pharmacie pour peser 10 grammes de safran qui seront mis à déshydrater dans un four pendant environ 20 minutes. Le safran peut perdre jusqu’à 80% de son poids. Pour obtenir 1kg de safran, il faut donc récolter et préparer, une par une et à la main, entre 150.000 et 200.000 fleurs, ce qui justifie en partie son prix, environ 35 Euro le gramme, ce qui fait du safran l’épice la plus chère au monde.

Safran de Cotchia

Une épice en or

Déshydraté et mûri pendant un mois pour développer tout son arôme, le safran se conserve dans un récipient hermétique entreposé dans un endroit sec et à l’abri de la lumière. Dans de bonnes conditions, il garde ses qualités pendant trois ans. Le safran est une épice très puissante dont il faut user avec parcimonie. Trop concentré, il est amer avec un parfum de foin, un arôme de miel et des notes légèrement métalliques. C’est surtout un formidable exhausteur de goût, augmentant l’intensité de la perception olfacto-gustative d’autres aliments.

Safran de Cotchia

Dans la cuisine

Le pistil est à faire tremper la veille dans un liquide, eau, vin blanc ou lait chaud. Il suffit de 5 pistils dans 1 centilitre de liquide pour qu’il dégage tout son arôme. On utilise le liquide devenu jaune dans les préparations culinaires, sans le faire bouillir. Quant au pistil, on le garde pour décorer le plat, en gage de qualité car il garde sa coloration rouge.

Le safran va apporter à certains plats quelque chose d’unique. On l’accorde volontiers avec les poissons et les coquillages. Une recette de moules, poireaux et safran forme un accord parfait, tout comme une mousseline de jus de crevettes grises et langoustines au safran. C’est une épice qui permet de s’amuser en cuisine, même avec des recettes sucrées, comme le riz au lait au safran ou l’orange au safran que l’on sert avec une glace ou un crumble.

Safran de Cotchia

Il faut se méfier des faux safrans

Pour reconnaître un pistil de safran, il faut le prendre entre deux doigts mouillés. Il les colore en jaune brun et non pas en rouge. 80% du safran vendu est de mauvaise qualité. Des stigmates brisés et une odeur piquante sont synonyme de vieux safran qui a perdu ses propriétés gustatives. Le safran des Indes est en fait le rhizome du curcuma, Curcuma longa, et le safran bâtard est composé de pétales de carthame des teinturiers, Carthamus tinctorius, qui n’ont aucun goût. Enfin, il faut éviter le safran en poudre qui n’est souvent qu’un mélange de curcuma, de gingembre, de paprika, voire même du sable ou de la brique pilée!

Les vertus aphrodisiaques du safran

La légende raconte que Crocos, un jeune homme très beau, ami de Mercure, se trouvant avec lui à jouer au disque, fût blessé mortellement au front par un coup malheureux. Son sang s’écoulant fût bu par la terre. Il ressurgit plus tard sous la forme d’une fleur mauve portant des stigmates rouge sang. La fleur de safran devint alors le symbole de la vie et de la résurrection. La mythologie évoque Zeus, invitant ses compagnes sur des couches de safran pour multiplier sa force sexuelle et stimuler ses conquêtes par cette fleur aux propriétés aphrodisiaques. Cléopâtre utilisait également des huiles parfumées pour séduire ses amants.

Le Crocus sativus en homéopathie

L’usage médicinal du safran remonte à la plus haute antiquité. Les propriétés stimulantes, digestives, antispasmodiques et euphorisantes du safran ont souvent été citées par Homère, Pline l’Ancien, Virgile et Hippocrate. On l’absorbait en infusion, en application cutanée mélangé à de la graisse ou macéré dans du lait d’ânesse pour ses propriétés de jeunesse éternelle.

Aujourd’hui encore, le Crocus sativus est toujours prescrit en homéopathie. Il a la réputation d’agir sur le système nerveux. Il serait à la fois analgésique et tonique. A forte dose, il peut toutefois devenir dangereux. Méfiez-vous également du colchique, Colchicum autumnale, appelé safran des prés, dont toutes les parties sont extrêmement toxiques!

Safran de Cotchia

Safran de Cotchia à Wasseiges. Eric et Sabine Léonard, rue de la Waloppe 26 à 4219 Wasseiges, Belgique. www.safrandecotchia.com

Le Safran de la Font Saint-Blaise en Limousin. Véronique Lazérat, Le Bourg 23110 Fontanières, France. www.safrandefrance.fr

Crédit photos Agnès Pirlot et Safran de Cotchia

Reportage publié en 2017 dans la revue Eden (www.edenmagazine.be)

 

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